La détérioration de la Grande Barrière de corail en Australie décime les poissons nettoyeurs et les rend moins subtils dans leur tâche. Une étude de l’Université de Neuchâtel montre que leur densité de population s’est réduite de 80% en raison de dommages subis à leur environnement, une proportion bien plus grande que celle affectant les autres espèces peuplant le récif. Ces travaux sont publiés dans la revue scientifique Global Change Biology. Mauvaise nouvelle pour l’écosystème de la Grande Barrière de corail : la multiplication des cyclones survenus en 2014 et 2015, conjuguée au phénomène climatique El Niño de 2016, a eu des conséquences directes sur la qualité du travail des poissons nettoyeurs.
Directeur du laboratoire d’éco-éthologie de l’UniNE, Redouan Bshary étudie depuis vingt ans le comportement des labres nettoyeurs de l’espèce Labroides dimidiatus. Doctorante dans son groupe de recherche, Zegni Triki a pu comparer des données collectées en 2003 et 2010/2011 avec celles récoltées en 2014 et 2016, afin de mesurer les effets de perturbations climatiques de ces dernières années sur les interactions entre les poissons nettoyeurs et leurs «clients». Sur le récif corallien, deux types de «clients» se côtoient : les visiteurs et les résidents. Les visiteurs sont des poissons qui ont le choix entre différents nettoyeurs, alors que les résidents, eux, n’ont pas le luxe de choisir. Avant les perturbations, les nettoyeurs donnaient systématiquement la priorité du service de nettoyage aux visiteurs, ce qui était une bonne décision stratégique. Mais en 2016, cette stratégie a disparu.
En effet, Zegni Triki et ses collègues ont noté que la réduction du nombre des nettoyeurs s’accompagnait d’une augmentation significative du nombre de visiteurs cherchant un service de nettoyage. «Comme il y a trop peu de nettoyeurs, se déplacer est trop coûteux en énergie pour les visiteurs qui ont donc plutôt tendance à attendre. Mais en procédant ainsi, ils ne bénéficient plus de traitement prioritaire de la part des nettoyeurs. La stratégie devient donc moins sophistiquée», constate Redouan Bshary. Autre changement de comportement par rapport aux années 2000 : une diminution de la sensibilité du labre nettoyeur à sa réputation. En 2006 et 2011 en effet, Redouan Bshary et ses collègues avaient montré que le labre nettoyeur se montrait plus coopératif lorsqu’il se savait observé par un client potentiel. Or cette sensibilité à la réputation s’est désormais amoindrie. Aujourd’hui, les labres prélevés dans un récif corallien plus détérioré se montrent moins efficaces dans leur tâche, alors qu’ils devraient logiquement faire bonne figure pour préserver leur réputation.
Les scientifiques soulignent cependant que cet effet est lié aux capacités d’apprentissage individuelles des poissons nettoyeurs. Il peut donc être réversible, pour autant que l’on parvienne à redonner au corail sa vigueur d’antan.